La justice autorise une femme à exporter le sperme de son mari pour contourner la loi française

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Le tribunal administratif de Rennes a autorisé une femme a exporter les gamètes de son défunt époux afin de procéder à une insémination hors des frontières françaises, le 12 octobre, a annoncé son avocat, Me David Simhon. La pratique étant illégale en France, le juge contourne la loi en envoyant la veuve faire à l’étranger ce qu’il ne peut que lui refuser en France, et pose donc la question de la compréhension de la loi dont la motivation éthique est la protection de l’intérêt de l’enfant.

Une requérante, jeune veuve de moins de 30 ans depuis le décès de son mari d’un cancer en janvier 2016, avait également perdu l’enfant qu’elle portait, à quelques jours du terme. Elle avait demandé au tribunal le droit de faire exporter les gamètes de son époux congelés au Centre d’étude et de conservation des ovocytes et du sperme humain (Cecos) du CHU de Rennes. Le juge administratif a fait droit à sa demande en motivant son ordonnance par un raisonnement casuistique le plaçant en porte-à-faux avec la loi.

« Des circonstances exceptionnelles justifient qu’il soit enjoint au centre hospitalier régional universitaire de Rennes de prendre toutes les mesures utiles afin de permettre l’exportation, dans un établissement européen acceptant de procéder à une insémination post-mortem, des gamètes d’un époux décédé », s’est justifié le tribunal.

C’est là la première décision de justice concernant l’exportation de gamètes depuis le 31 mai dernier et l’arrêt du Conseil d’État, la juridiction suprême en matière de droit administratif, autorisant une ressortissante espagnole dont le mari était décédé en juillet 2015 à exporter des paillettes de son sperme vers l’Espagne. En raison d’une maladie grave, l’époux avait choisi de faire cryoconserver ses gamètes afin de les utiliser dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation. Le Conseil d’État a estimé que le décès de l’homme a empêché le couple de mener à bien son projet et a fait droit à la demande de la veuve.

Pourtant, la législation est sans ambiguïté, l’article L-2141-2 du Code de la santé publique dispose que les deux membres du couples doivent être vivants et, dans les cas présents, l’article L. 2141-11-1 du même code Code prohibe l’exportation de gamètes pour une utilisation contraire aux principes de la loi française.

Des exceptions qui s’étendent

Dans son arrêt, le Conseil d’État avait estimé que confirmer l’interdiction d’exporter les paillettes de sperme du défunt représentait « eu égard à l’ensemble des circonstances de la présente affaire, une atteinte manifestement excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale ». L’argument de la Haute juridiction administrative était que la requérante était dépourvue d’intentions frauduleuses, car elle ne cherchait pas à contourner la loi française, mais à s’installer dans son pays, l’Espagne, auprès de sa famille où elle entendait avoir un enfant. Même en interprétant de manière très stricte l’interdiction d’exporter pour l’autoriser, il reste que le Conseil d’État méconnaissait l’obligation légale que les donneurs homologues (don de gamètes interne au couple) soient vivants. L’avocat de la requérante, par ailleurs celui de celle de Rennes, Me Simhon, se voulait rassurant après cet arrêt :

« Cette décision d’espèce n’aura pas de conséquences sur la législation française. »

Pourtant, il s’agissait bien de défaire la loi, ne fût-ce que partiellement et de manière casuistique au motif que les deux époux n’étaient pas français ; et pourtant le même avocat a demandé au tribunal administratif d’ignorer la loi française, cette fois-ci au bénéfice non pas d’une étrangère mais d’une Française, ce qui ôte le caractère exceptionnel de l’extranéité qui a servi de justification devant le Conseil d’État.

Une évolution juridique méconnaissant l’intérêt supérieur de l’enfant

De fait, dans le litige soumis au tribunal administratif de Rennes, la requérante considérait que le projet parental qu’elle et son époux portaient devait pouvoir aboutir, comme si la conception de l’enfant qui n’avait pu naître signifiait l’accord de son époux pour une insémination post-mortem. Une telle attitude est comparable à la volonté d’obtenir un transfert post-mortem d’embryons : puisque le mari avait déjà conçu un enfant avec sa femme, sa mort puis celui in utero du fœtus semblent être considérés par la veuve à l’identique des cas où des embryons ont été conçus avec l’aide de la médecine et cryogénisés avant d’être implantés après le décès du mari s’il a donné son accord, comme cela se pratique au Royaume-Uni, en Belgique, en Espagne, aux Pays-Bas ou aux États-Unis où plusieurs veuves de soldats ont eu recours à la fécondation post-mortem ; il s’agirait de l’équivalent d’un nouveau transfert d’embryon après l’échec d’une grossesse. C’est d’ailleurs ainsi que peut se comprendre le jugement rendu à Rennes expliqué par le communiqué de presse du tribunal administratif qui considère le refus du Cecos, fondé sur la loi, comme  » une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa décision et de celle de son défunt époux de devenir parents ».

Pourtant, il n’y a pas d’attestation du défunt mari prouvant qu’il souhaitait avoir un enfant après sa mort, plus encore conçu post-mortem. Le raisonnement casuistique se fait même sophiste quand il parle de la décision des membres du couple de « devenir parents », alors le défunt ne peut plus devenir père ; considérer que le précédent projet parental décidé du vivant du mari signifie qu’il souhaitait qu’un autre projet parental fût mené après son décès relève de l’interprétation abusive. Le mari pouvait avoir fait congelé ses gamètes à cause de son cancer, et il n’était pas censé ignorer qu’elles ne pourraient être exportées, qu’elles devraient d’ailleurs être détruites ; dès lors, quand le tribunal justifie son jugement en parlant du souhait du couple désormais dissout de « devenir parents », il pose la supposée volonté d’un couple au-dessus de la loi. Peut-on même encore parler de donneur homologue quand le mariage est défait par la mort de l’un des époux ? Et surtout le juge méconnaît la cause de l’interdiction du fécondation post-mortem, l’intérêt supérieur de l’enfant.

Si la douleur de la jeune veuve qui a perdu l’enfant qu’elle portait est compréhensible, le juge ne pouvait faire droit à sa demande sans considérer cet intérêt supérieur. Ce principe est celui mis en avant par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) dans son avis n° 113 du 10 février 2011 intitulé La demande d’assistance médicale à la procréation après le décès de l’homme faisant partie du couple. Le Comité a fait remarquer à juste titre que concevoir un enfant post-mortem n’est pas équivalent à accueillir un orphelin :

« L’enfant qui naîtrait ainsi serait privé de père ce qui constitue la privation d’un bien élémentaire pour un enfant. Cette situation délibérément programmée est différente de celles auxquelles on doit faire face a posteriori en cas de décès, de départ ou d’absence du père. Elle nous conduit à nous interroger sur le sens et la place de la paternité dans notre société et sur le risque d’un effacement du rôle du père. Mais il faut aussi prendre en considération le fait que l’enfant saura qui est son père, même si celui-ci est décédé, qu’il sera inscrit dans sa double filiation et aura sa place généalogique dans la lignée paternelle. »

En résumé, pour le CCNE, l’enfant conçu post-mortem n’est pas comparable à tout autre enfant ayant perdu son parent, car lui n’est pas dans situation accidentelle mais délibérée ; en revanche, contrairement à certains orphelins, il sait de qui il descend.

La nuance apportée par le Comité à son objection ne la vide pas de sa force, car même si l’enfant sait qui est son père, il en a été délibérément privé puisque la mère ne pouvait ignorer, en décidant de le concevoir, qu’il n’en aurait pas. Orphelin de père par le choix de sa mère au nom d’une éthique technicienne voulant que ce qui peut être fait doit l’être, l’enfant se voit également soustrait une part de liberté. Un enfant conçu dans ces conditions l’est-il pour lui-même ou pour prolonger le désir amoureux de la mère ayant perdu son époux ; autrement dit, cet enfant est-il un moyen de compenser une perte affective ? Dans le cas présent, la perte du mari et de l’enfant mort avant terme, une prolongation temporelle de l’époux et un enfant de remplacement ? Vincent Van Gogh, ainsi prénommé après le décès de son frère éponyme qu’il n’avait pas connu, fut profondément troublé par le fait d’être un substitut.

En cherchant à tenir compte de « circonstances exceptionnelles », le juge n’a pas seulement méconnu la loi sous prétexte d’humanité, il a oublié que la loi tient également compte de l’état émotionnel d’une femme qui vient de devenir veuve et essaie d’effacer la réalité sans considérer les risques pour l’avenir, pour elle et pour l’enfant qui serait ainsi conçu. Dans son ouvrage Fondements de la métaphysique des mœurs, Emmanuel Kant, avait ainsi conceptualisé ce qui est une intuition chez les hommes : « Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle » ; il s’agit de traiter le prochain comme l’on souhaite être traité, et si une asymétrie se fait, les relations peuvent être faussées. L’enfant pourrait bien se demander quelle est la raison de son existence pour sa mère.

Le Conseil d’État qui remet au Gouvernement ses avis en matière de révision de lois bioéthiques a donné une tendance, le tribunal administratif de Rennes lui a emboîté le pas, même s’il va au-delà de l’exception admise par la Haute juridiction. Ironie des palais de justice, le 13 octobre, le lendemain du jugement rendu à Rennes, le tribunal administratif de Toulouse a refusé à une veuve le droit de conserver les gamètes de son défunt mari en attendant une éventuelle modification de la loi.

Hans-Søren Dag


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